lundi 5 février 2007

Le marketing du cigare en évolution





Aujourd’hui la version longue d’un article publié il y a trois mois dans un nouveau magazine cuisine haut de gamme que je vous recommande très vivement : Gusto.
Son éditeur a eu la bonne idée d'y vouloir une rubrique cigare avec une approche un peu décalée; ça tombe bien, j'aime bien en écrire.

A Cuba, le marketing de l’or brun
Ce n’est certainement pas lorsqu’il s’adonne à la dégustation d’un Havane que l’amateur a l’esprit occupé par des questions d’argent. Le plaisir est trop plein, trop entier pour se laisser parasiter par des considérations mercantiles. Un des plaisirs majeurs du cigare est précisément cette propension à oublier les préoccupations soi-disant importantes de la vie de tous les jours pour se concentrer sur des joies aussi simples que le toucher d’une cape, la surveillance maternelle de la combustion ou la perception de la progressivité des sensations aromatiques. Futile, en apparence? Peut-être, mais n’est-ce pas là justement le début de la sagesse?

De l’autre côté de l’Atlantique, à Cuba, c’est une tout autre histoire. Depuis le 23 Juin 1817, date à laquelle l’abolition du monopole royal espagnol permet à Cuba de produire et exporter des cigares, le Havane est certes un plaisir, mais avant tout un produit. L’Histoire des marques et des fabriques est une vraie saga capitaliste où l’on retrouve tous les ingrédients d’un roman à la Sulitzer : montées en flèche de jeunes entrepreneurs innovants, dynasties familiales turbulentes, faillites retentissantes, tentatives de prise en main par des trusts étrangers,… Bref, en plus pittoresque, le jeu traditionnel du libéralisme, débridé mais fertile, qui a abouti à asseoir le Havane au sommet de la hiérarchie de ce produit de la terre et du travail des hommes qu’est le cigare.

Tout cela prend fin brutalement en 1959, date de la prise de pouvoir par le régime castriste qui nationalise l’ensemble des activités économiques de l’île, cigarière comprise. S’ensuit une période de stagnation pendant laquelle Fidel Castro, même s’il fume encore ses Lanceros, est surtout occupé à trouver sa place dans la galaxie à l’étoile rouge qui, elle, est principalement demandeuse de denrées de première nécessité comme le sucre.
La chute de l’Empire communiste est une catastrophe pour Cuba qui se voit privé de sa principale source de devises, tout en restant sous embargo américain depuis 1962. Au milieu des années 1990, Fidel, alors que paradoxalement lui-même s’est arrêté de fumer, lance un plan ambitieux de développement de la production de cigares qui passera en 5 ans de 50 à près de 150 millions de Havane, pour en arriver à constituer entre 5 et 10% des rentrées de devises du pays. Avec les conséquences évidentes d’une croissance si rapide sous un régime de cette nature: baisse de qualité, désorganisation, manque d’écoute des souhaits du consommateur et donc de vision stratégique.

Il n’y avait qu’un choix possible, courageux car loin des idéaux marxistes: se faire aider de spécialistes étrangers disposant de la connaissance du marché international et donc capables de s‘y adapter en vue d’une optimisation des résultats économiques. Si Tabacuba, société chargée de la production des Havanes reste 100% cubaine, Habanos SA, chargée de leur commercialisation fait en 1999 renter à hauteur de 50% la société Altadis, issue de la fusion la même année du français SEITA et de l’espagnol Tabacalera.

Sous l’impulsion de ce sang neuf, Habanos SA va transformer en profondeur la filière autour d’idées-force du plus pur classicisme marketing. Etape 1 : dépoussiérage et rationalisation des gammes de produits existantes (près de 600 cigares différents) ; étape 2 : redynamisation par la revalorisation de l’image et la création nouveaux produits adaptés aux demandes du marché. Et au pas de charge!

Dès 2002, le nombre de références est divisé par deux soit l’abandon de 300 vitoles dont certains grands classiques comme le Prince of Wales de Romeo y Julieta. Le tout avec une vraie une logique de gamme autour de la Pyramide des marques (infographie ci-contre), créée par les cubains en 1988 pour établir une hiérarchie dans la qualité, mais remise en vigueur, ou plutôt en rigueur.

A contrario, on assiste à l’introduction, très rare cependant, de nouvelles vitoles dont la conception est la résultante directe de réelles études visant à répondre aux demandes d’un marché qui évolue de plus en plus. Ainsi, devant le succès grandissant des cigares de fort diamètre de type robusto, ont été lancés l’Edmundo de Montecristo (Robusto long, dit « cañonazo ») et le petit Robusto chez Hoyo de Monterrey.

En parallèle, l’année 2000 voit l’apparition des « Edicion Limitada » qui sont des cigares qui n’existent pas dans les gammes et qui sont produits ponctuellement avec des feuilles de tabac vieillies, d’une belle couleur fonçée « maduro ». A l’exception notable de 2002, chaque année a vu, depuis, son lot de séries limitées dont certaines sont déjà des stars comme le Partagas Piramides 2000 ou le Cohiba Sublimes 2004. Les premières « Edicion Limitada » (2000 et 2001) sont aujourd’hui introuvables à la vente et alimentent déjà le marché des collectionneurs. Assez curieusement en 2006 les EL sont des rééeditions des succès de 2000 (Montecristo Robusto) et 2001 (Cohiba Piramides et Partagas Serie D N°3). Voir ci-contre.


Aujourd’hui, même si nous sommes parfois agacés par de ponctuelles irrégularités, force est de constater que le cigare cubain s’est remis en ordre de marche, bien décidé à être prêt pour le jour, pas nécessairement si éloigné, où l’embargo américain sera levé. Ce jour là, des milliers de nouveaux consommateurs, privés de cigares cubains pendant des années, voudront probablement rattraper le temps perdu et ce sera une autre révolution.

En attendant, après ce petit intermède historico-économique, revenons-en aux choses vraiment importantes : un ami très cher m’a offert un Gold Medal de Bolivar et depuis que je l’ai dans la main je n’arrive pas à le lâcher. Je peux vous dire que taper cet article d’une seule main n’aura pas été chose facile et, pour me récompenser, je vais l’allumer de ce pas.


Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue".



5 commentaires:

Anonyme a dit…

Son éditeur a eu la bonne idée d'y vouloir aussi une rubrique vin avec une approche un peu décalée, ce qui est aussi une bonne idée ;-)

Anonyme a dit…

Un petit Blog, fort sympatique comme la dégustation d'un bon cigare...

Le 1er tiers révèle un corps généreux et étoffé, on en regretterais presque qu'il soit trop court.

J'attend la suite de la dégustation avec imaptience...
Vivement le 2eme tiers

Unknown a dit…

Merci pour cet article.
Si je puis....
L'Edmundo n'est pas un canonazo, comme le Siglo VI. Le nom de galère de l'Edmundo est simplement...Edmundo, il me semble.
Une source digne d'intérêt quant à ce :
http://www.habanos.com/vitolario.aspx?lang=en
Bien que le marché du cigare ne soit pas ma spécialité, du moins sous cet angle, je doute sérieusement que Cuba soit en mesure de satisfaire à court ou moyen terme une (éventuelle) ouverture du marché américain, dont l'ampleur ne saurait être qu'estimée... Ce qui n'enlève rien au constat, que je partage, d'une sérieuse "remise en ordre" de la filière "havanes".

W

Unknown a dit…

En lien avec ce que j'indiquais supra :
http://www.cnnexpansion.com/negocios/2008/02/27/habanos-cubanos-crecen-en-ventas


W

Unknown a dit…

J'oubliais : l'analyse serait renforcée par l'exemple des ER ou éditions régionales, dont la première fut commercialisée fin 2004 début 2005 pour le marché UK (Ramon Allones Belicosos) - à noter que cette vitole ne portait qu'une seule bague.
La France a eu elle droit à deux ER (Bolivar et Juan Lopez, actuellement en réédition).
Il y a depuis une véritable explosion des ER dans le monde (ER Mexique, Italie, Asie-Pacifique, Bénélux, Pays Baltes, Suisse, etc).
Ces cigares portent en règle une seconde bague, non datée, stipulant le caractère régional et la zone géographique concernée.

W

 
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