vendredi 28 décembre 2007

Les Terroirs du cigare


Le Cigare est, comme le vin, est une affaire de mélange. Il est constitué par l’assemblage de deux ou, plus souvent, trois feuilles de tabac différentes assurant un subtil équilibre entre arômes, puissance et combustibilité. Cet assemblage est ensuite enveloppé dans un feuille de sous-cape pour donner la forme voulue, puis le tout est recouvert par dans une feuille de cape dont le but est essentiellement esthétique.

L’art de la fabrication d’un cigare est donc bien celui de trouver le meilleur assemblage (liga) pour aboutir à l’architecture de goût souhaitée. Depuis des générations les manufacturiers, hollandais, espagnols et américains principalement, ont donc cherché à disposer de la plus grande diversité de tabacs possible et ont, dans cette optique, testé et développé de multiples terroirs.

Des tabacs à cigares sont récoltés aux quatre coins du monde : Philippines, Canaries, Pérou, Paraguay, Venezuela, Mexique, mais la vraie qualité n’est pas encore au rendez-vous.
D’autres pays se sont spécialisés dans la culture de feuilles de cape : Equateur, Brésil, Indonésie (très belles capes Sumatra), Etats-Unis (fameuses capes Connecticut) et Cameroun.

Le niveau supérieur est occupé par des pays, tous autour de la mer des Caraïbes, qui produisent des cigares de bonne qualité, principalement depuis que la révolution cubaine de 1949 a obligé certains des meilleurs cigariers du pays à chercher de nouvelles terres et que l’embargo des Etats-Unis contre Cuba du 7 février 1962 a obligé les américains à acheter leurs cigares ailleurs.
Parmi ceux-ci on trouve le Honduras et le Nicaragua dont le développement en matière de cigares a longtemps été ralenti par une situation politique instable dans laquelle la guérilla sandiniste bloquait les initiatives dans les deux pays. Ortega parti, la production a connu une croissance spectaculaire, principalement centrée autour des vallées de Jalapa dans la région d’Esteli au Nicaragua et de Danli dans l’est du Honduras. Avec 100 millions de cigares faits main par an, ce dernier pays se situe aujourd’hui au troisième rang dans le monde.

Un classement au premier rang duquel on trouve – surprise – la République Dominicaine avec 170 millions de cigares faits main par an. C’est que la grande île voisine de Cuba a su tirer profit de l’embargo sur Cuba et de l’instabilité politique en Amérique centrale. Davidoff fournit l’élément déclencheur en 1991 en quittant Cuba avec fracas pour s’installer République Dominicaine et donner à cette dernière la crédibilité qui lui manquait. Les meilleures plantations, qui se trouvent dans les vallées du Cibao et de la Yaque au Nord-Ouest du pays. Elles fournissent d’excellentes feuilles de tripe dont la principale caractéristique est la légèreté, ce qui oblige les dominicains à importer à la fois des tabacs plus forts pour leurs mélanges et des feuilles de cape pour produire leurs cigares.

Même si Cuba n’est plus que le deuxième producteur mondial de cigares faits main avec environ 140 millions de puros par an, ceux-ci restent et de loin les meilleurs du monde. Les raisons en sont nombreuses. Bien sûr le travail des hommes a été, comme toujours, prépondérant : c’est à Cuba que des familles d’entrepreneurs ont inventé l’art de produire les cigares, que les processus de récolte, culture, maturation et fabrication ont été développés et que les ingénieurs agronomes élaborent en permanence des plans de tabac de plus en plus productifs et résistants. Mais tout cela n’aurait servi à rien si Cuba n’avait pas présenté des conditions naturelles (ensoleillement, humidité, pluviométrie, vents marins et composition des sols) constitutives de terroirs produisant un tabac dont la qualité a été jusqu’ici inégalée.

Cuba compte cinq terroirs de tabacs (Oriente, Remedios, Semi-Vuelta, Partido et Vuelta Abajo) dont seuls les deux derniers sont éligibles à produire des feuilles entrant dans la confection des « habanos » :


Semi-Vuelta (entre La Havane et la Vuelta Abajo) et Oriente (à l’est, comme son nom l’indique) sont exclusivement exploités pour la production de cigarettes. Remedios, au centre de l’île produit des cigares de qualité inférieure, destinés au marché intérieur.
A noter que depuis quelques années, les cubains ont décidé de donner un nouvel élan aux terroirs Oriente et surtout Remedios, sous l’appellation de « Vuelta Arriba » (voir carte ci-dessus). Ils y produisent des cigares identifiés « Habanos », mais de moindre qualité et à moindre coût. C’est par exemple le cas des marques José L. Piedra et Guantanamera, qui connaissent un succès commercial intéressant.

Partido, tout près de La Havane, est la terre des débuts du tabac à Cuba mais ne produit aujourd’hui quasiment plus que des feuilles de cape, plutôt claires d’ailleurs.


A l’extrême Ouest de l’île se trouve la prestigieuse Vuelta Abajo dont les terres rouges et sablonneuses se sont révélées dès le XVIIIème siècle d’une richesse absolument incomparable et où sont produites les meilleures feuilles de tabac, de tripe comme de cape. C’est le terroir mythique du cigare dans le monde, au cœur duquel se trouve la magique vallée de Vinales (ci-dessus), patrimoine de l’humanité.

Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue".

mardi 27 novembre 2007

Pourquoi tant de haine ?

Tout le monde comprend bien que les non-fumeurs puissent être protégés dans leurs droits à pouvoir vivre sans être enfumés par leurs voisins de table ou de bureau. A ce titre, tout le monde comprend également qu'ils se soient organisés en Associations pour obtenir une formalisation de ces droits. Celle-ci est arrivée par le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 qui fait couler beaucoup d'encre: pourquoi un décret et pas une loi (qui aurait permis un débat et un vote par les représentants du peuple), pourquoi la protection des non-fumeurs passe-t-elle par l'interdiction de réunion des fumeurs qui seront les seuls citoyens de ce pays à se voir dénier ce droit fondamental? Il y a beaucoup à dire et nous en reparlerons surement, car j’y vois le signe d’un glacis qui est en train de s’abattre sur la notion de plaisir en France, pourtant le pays de l’art de vivre. A quand l’interdiction du verre de vin rouge, du camembert au lait cru ou du pied de cochon ?

Les Associations de non-fumeurs ont obtenu cela. Ceux-ci vont pouvoir maintenant disposer à leur usage exclusif de tous les restaurants de France, tous les jours. On peut trouver ce résultat excessif et vouloir se battre pour le rééquilibrer (c’est mon cas au travers de l’Association des « Amis des Plaisirs du Goût »), mais il n’y a là rien à leur reprocher. Leur mission est de représenter et défendre leurs adhérents et c’est ce qu’elles ont fait. Joli boulot.

Le problème c’est qu’enivrées par ce succès, certaines d’entre elles on décidé, après le droit de réunion, de s’attaquer au droit d’information et d’expression. Des clubs d’amateurs (la Cape d’Epicure, Pour une Poignée de Cigare, Cigare et Compagnie,…) ont été assignés en justice. C’est maintenant le tour des magazines spécialisés Cigare et Sensations, l’Amateur de Cigare, Club Cigare et Cigare and Co. L’association Droits des Non Fumeurs va même jusqu’à assigner Yves Belaubre le propriétaire de Cigares et Sensations, pour des sommes visiblement destinées à le mettre sur la paille.

En quoi tuer économiquement ces zones d’échange d’information et les personnes de leurs animateurs rentre-t-il dans le job de ces associations? Elles outrepassent à l’évidence leur mission. Pourquoi ? Je ne vois aucune raison valable. Et là on est obligés d’envisager des raisons pas très nobles.

Mesdames et Messieurs les non-fumeurs membres d’associations, comprenez que tout le monde respecte votre combat légitime pour pouvoir vivre sans tabac. Vous avez bien travaillé jusque là et obtenu d'excellents résultats, mais comprenez également qu’en allant trop loin et en massacrant Yves Belaubre par exemple, non seulement vous commettez des actes humainement discutables, mais vous perdez votre légitimité en suscitant la suspicion. Cela ne vous aidera pas dans vos actions.

C'est ce qui s'appelle faire fausse route.

mardi 26 juin 2007

Le Behike, paroxysme du mythe Cohiba

La marque de cigares cubains la plus vendue dans le monde est Montecristo, la plus ancienne est Por Larrañaga, celle disposant de sa fabrique la plus célébre est Partagas, celle présentant la plus large gamme de vitoles est Romeo & Julieta, des noms qui sonnent comme autant de piliers de la « cigaritude » cubaine. Et pourtant, lorsque vous serez abordés dans les ruelles de la Vieille Havane par des revendeurs à la sauvette, ce n’est aucune de ces marques qui sera écrite sur les boites qui sortiront de leurs poches aussi vite qu’un mojito des mains du barman du Floridita. Car la marque qui exerce la plus forte attraction, beaucoup plus récente, sans fabrique à son nom et avec une gamme assez resserrée mais qui représente aujourd’hui dans le monde le symbole de l’excellence cigarière cubaine, cette marque, bien sûr, c’est Cohiba.

Et force est de reconnaître qu’avec Cohiba on est assuré de cigares d’une bonne qualité, régulière et sans risque mais - jetons le pavé dans la marre - qui vous donnerons rarement l’impression, si extraordinaire, de fumer les meilleurs cigares du monde. Certes il y a des exceptions comme le récent Siglo VI et le très regretté Pyramides Edition Limitée 2001 (photo ci-dessous), mais chacune des vitoles du reste de la gamme est facilement dépassée par ses équivalents d’autres marques, y compris le réputé Robusto.

Alors pourquoi un tel engouement. Deux raisons principales. D’abord, c’est le cigare historique de Fidel Castro et ensuite il a été très savamment promu par les cubains pour entretenir la légende.

Un jour de 1963, l’attention de Fidel est attirée par une odeur de cigare, inconnue de lui mais délicieuse. Il s’aperçoit que le « puro » qui la dégage est dans les mains de son garde du corps Chicho et apprends qu’ils lui sont roulés spécialement par son ami torcedor Eduardo Rivera. A compter de ce jour Reviera roulera ces cigares longs et fins (les futurs Lanceros) pour Fidel. Et comme celui-ci est partageur, il en fera bénéficier certains de ses amis cubains et étrangers. A telle enseigne que Riviera ne peut plus tenir la cadence tout seul et s’entoure de 8 femmes qui l’aideront dans sa tâche, dont une certaine Norma Fernandez dont nous reparlerons.
Il faudra attendre 1966 pour que, à l’initiative de Celia Sanchez, figure féminine méconnue mais très influente de la Révolution Cubaine, ces cigares soient portés sur les fonds baptismaux sous le nom d’une marque nouvelle: Cohiba. Créée pour l’occasion, elle s’inspire du nom que donnaient les indiens Tainos aux feuilles de tabac roulées qu’ils fumaient il y a 500 ans.

Ensuite la machine marketing se met en route. La gamme comporte d’abord trois vitoles : Lanceros, Panatelas et Coronas Especiales. Les trois de la Linea Classica (Robustos, Esplendidos et Exquisitos) n’apparurent qu’en 1989, peu avant le réel élargissement de la gamme par la Linea 1492, celle des Siglos I, II, III, IV et V, le Siglo VI datant, lui, de 2002.

Avec la caractéristique d’avoir dans sa liga des feuilles ayant bénéficié de trois fermentations au lieu de deux, les Cohiba vont être positionnées très haut de gamme, leur prix étant en moyenne 50% plus chers que les autres. Et c’est un succès planétaire sans qu’ils soient, loin s’en faut, 50% meilleurs que les autres. On ne peut s’empêcher de penser - deuxième pavé dans la marre (attention, elle commence à être bien remplie) - que le simple fait d’être le plus cher ait pu provoquer un tel succès chez les fumeurs recherchant plus dans le cigare un symbole financier qu’une dégustation extatique.

Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter là puisque Habanos SA a lancé en Février 2006 la fabrication du « cigare le plus cher du monde », le « Behike », du nom des shamans Tainos. Il s ‘agit d’un cigare long (19 cm, longueur du Lanceros) et Cepo 52 (diamètre du Siglo VI). Seulement 100 boîtes de 40 Behikes seront produites et ces 4000 cigares ont tous été roulés à la Fabrique El Laguito par la même personne : Norma Fernandez (photo) dont nous parlions plus haut. Le prix est de 15 000 Euros la boîte ce qui à l’évidence répond à l’objectif d’origine.

Pour offrir à ces joyaux le plus bel écrin, Habanos a fait appel au tabletier français Elie Bleu, qui s’affirme de plus en plus comme le meilleur fabriquant de caves à cigares au monde. Réalisés entièrement dans les ateliers Elie Bleu en sycomore, ébène, os et galuchat (peau de raie), les coffrets, couronnés par un logo Cohiba central en nacre, sont numérotés individuellement, comme chaque cigare d’ailleurs.
Au total, il aura fallu deux mois de travail, trois cents peaux de raie d’Indonésie, deux cent cinquante kilos d’ébène, plus d’une centaine de coquilles d’ormeau de la Mer de Chine, tout ça pour cent coffrets. « Une aventure !», comme le dit le Chef d’Atelier d’Elie Bleu.



Enfin, chaque coffret porte une plaque au nom de son acheteur. Scoop sur la question, quelques plaques sont encore vierges, ce qui, lorsque vous serez abordés dans les ruelles de la Vieille Havane par des revendeurs à la sauvette vous proposant des Behike, pourra vous laisser penser qu’il ne s’agit pas de faux. Ce serait bien la première fois.

Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue".



mercredi 21 février 2007

Les grandes marques de cigares: Hoyo de Monterrey

Deuxième de la série sur les marques de cigares cubains, nous nous perdons aujourd'hui dans le Hoyo de Monterrey.

Hoyo de Monterey c’est d’abord l’histoire d’une terre, dans un trou perdu de l’Ouest cubain. C’est le cas de le dire puisque la traduction littérale du mot « hoyo » est justement « trou ». Par extension, il s’agit en fait d’une trouée, une vallée dans cette région montagneuse de la Vuelta Abajo, où sont produit les meilleurs tabacs à cigares du monde.

Mais Hoyo de Monterey c’est aussi, comme souvent dans l’histoire des marques cubaines, une saga familiale à multiples épisodes, digne d’une série télévisée. Le personnage central, un espagnol originaire de Taragonne en Catalogne, s’appelle José Gener y Batet. Il arrive à Cuba un beau matin de 1831, à l’âge de 13 ans pour travailler avec son oncle qui exploite une plantation de tabac appelée « la Majagua » avec laquelle il produit des cigarillos du même nom pour le marché local. Tout va bien pendant un moment mais, avec l’âge, José développe une forte ambition. Il veut s’attaquer au monde et ce n’est pas avec des cigarillos qu’il y parviendra.

En 1850, il fonde donc une fabrique de cigares à La Havane, puis crée la marque « La Escepcion » pour le marché américain. A partir de là, les évènements vont s’enchaîner à un rythme effréné. Le succès de marque « La Escepcion » lui permet d’acquérir en 1860 une exploitation en Vuelta Abajo, nommée « Hoyo de Monterrey » dont on peut encore voir le portail aujourd’hui. Mais ce n’est que cinq ans plus tard qu’il crée la marque du même nom. A la différence de « La Escepcion », les cigares « Hoyo de Monterrey » sont plus doux et subtils, destinés au marché anglais.

En 1895, après 30 ans de gestion éclairée mais quasi-despotique, la Maison est une des plus florissantes de Cuba, avec 350 employés. C’est le moment que choisit José Gener pour mourir lors d’une de ses visites au pays natal. Sa fille Lutgarda Gener prend le relais mais ne parvient pas à résister aux pressions de la famille qui accorde la priorité aux exploitations sucrières. C’est sans surprise qu’en 1931, 100 ans après l’arrivée de José, les deux marques sont vendues à Fernando Palicio et Ramon Fernandez, qui exploitent déjà les marques Punch et Belinda.

A la fin des années 1940, Hoyo est choisie par Zino Davidoff pour produire sa fameuse série des châteaux, qu’il finira par récupérer sous sa propre marque en 1969.

Hoyo de Monterrey reste aujourd’hui une des principales marques de cigares cubains, avec une gamme relativement large de 18 vitoles, dont 3 séries limitées de très bonne facture: Particulares 2000 et 2001, Piramides 2003 (ci-dessous) et Epicure Especial 2004.



Les 6 vitoles de la série "Le Hoyo" (des Dieux, du Gourmet, du Maire, du Roi, du Prince et du Député, tout en Français) sont assez décevantes et ce n'est pas de son sein que sont issus les vaisseaux amiraux de la Maison : l’« Epicure n°2 », un Robusto fin et léger et surtout le « Double Corona », classique parmi les classiques, qui est un de mes cigares préférés, surtout avec quelques années de vieillissement.

Choisissez le plutôt en cabinet de 50 qu’en boîte de 25 et vous aurez le privilège de goûter l’une des plus belles réussites de l’art cigarier cubain. Fidèle à l’esprit de la marque, ce « Double Co » (photo ci-dessous) s’inscrit résolument dans la finesse plus que dans la puissance, tout en faisant montre d’une architecture exceptionnelle, ciselée, impressionnante de précision. A l’allumage, le cigare laisse son bénéficiaire s’installer calmement dans la dégustation, se laissant presque désirer. Avec une progressivité parfaitement maîtrisée, il commence à distiller ses arômes végétaux, d’abord presque floraux puis évoluant dans un registre boisé avant de s’enrichir encore de multiples sensations épicées. Le tout inspire un sentiment de rondeur et d’équilibre d’une grand élégance, qui permet de tenir la distance sans se sentir trop tôt rassasié.


Une fois n’est pas coutume, nous recommandons l’accompagnement d’un vieux rhum cubain (en général, j’ai une nette préférence pour les rhums agricoles martiniquais). Sa douceur et son côté un peu sucré, qui nous agacent avec une vitole qui a du vrai répondant, sont ce qu’il faut boire avec un Hoyo. Sans pour autant, bien sûr, en boire comme un «hoyo».

Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue"



lundi 5 février 2007

Le marketing du cigare en évolution





Aujourd’hui la version longue d’un article publié il y a trois mois dans un nouveau magazine cuisine haut de gamme que je vous recommande très vivement : Gusto.
Son éditeur a eu la bonne idée d'y vouloir une rubrique cigare avec une approche un peu décalée; ça tombe bien, j'aime bien en écrire.

A Cuba, le marketing de l’or brun
Ce n’est certainement pas lorsqu’il s’adonne à la dégustation d’un Havane que l’amateur a l’esprit occupé par des questions d’argent. Le plaisir est trop plein, trop entier pour se laisser parasiter par des considérations mercantiles. Un des plaisirs majeurs du cigare est précisément cette propension à oublier les préoccupations soi-disant importantes de la vie de tous les jours pour se concentrer sur des joies aussi simples que le toucher d’une cape, la surveillance maternelle de la combustion ou la perception de la progressivité des sensations aromatiques. Futile, en apparence? Peut-être, mais n’est-ce pas là justement le début de la sagesse?

De l’autre côté de l’Atlantique, à Cuba, c’est une tout autre histoire. Depuis le 23 Juin 1817, date à laquelle l’abolition du monopole royal espagnol permet à Cuba de produire et exporter des cigares, le Havane est certes un plaisir, mais avant tout un produit. L’Histoire des marques et des fabriques est une vraie saga capitaliste où l’on retrouve tous les ingrédients d’un roman à la Sulitzer : montées en flèche de jeunes entrepreneurs innovants, dynasties familiales turbulentes, faillites retentissantes, tentatives de prise en main par des trusts étrangers,… Bref, en plus pittoresque, le jeu traditionnel du libéralisme, débridé mais fertile, qui a abouti à asseoir le Havane au sommet de la hiérarchie de ce produit de la terre et du travail des hommes qu’est le cigare.

Tout cela prend fin brutalement en 1959, date de la prise de pouvoir par le régime castriste qui nationalise l’ensemble des activités économiques de l’île, cigarière comprise. S’ensuit une période de stagnation pendant laquelle Fidel Castro, même s’il fume encore ses Lanceros, est surtout occupé à trouver sa place dans la galaxie à l’étoile rouge qui, elle, est principalement demandeuse de denrées de première nécessité comme le sucre.
La chute de l’Empire communiste est une catastrophe pour Cuba qui se voit privé de sa principale source de devises, tout en restant sous embargo américain depuis 1962. Au milieu des années 1990, Fidel, alors que paradoxalement lui-même s’est arrêté de fumer, lance un plan ambitieux de développement de la production de cigares qui passera en 5 ans de 50 à près de 150 millions de Havane, pour en arriver à constituer entre 5 et 10% des rentrées de devises du pays. Avec les conséquences évidentes d’une croissance si rapide sous un régime de cette nature: baisse de qualité, désorganisation, manque d’écoute des souhaits du consommateur et donc de vision stratégique.

Il n’y avait qu’un choix possible, courageux car loin des idéaux marxistes: se faire aider de spécialistes étrangers disposant de la connaissance du marché international et donc capables de s‘y adapter en vue d’une optimisation des résultats économiques. Si Tabacuba, société chargée de la production des Havanes reste 100% cubaine, Habanos SA, chargée de leur commercialisation fait en 1999 renter à hauteur de 50% la société Altadis, issue de la fusion la même année du français SEITA et de l’espagnol Tabacalera.

Sous l’impulsion de ce sang neuf, Habanos SA va transformer en profondeur la filière autour d’idées-force du plus pur classicisme marketing. Etape 1 : dépoussiérage et rationalisation des gammes de produits existantes (près de 600 cigares différents) ; étape 2 : redynamisation par la revalorisation de l’image et la création nouveaux produits adaptés aux demandes du marché. Et au pas de charge!

Dès 2002, le nombre de références est divisé par deux soit l’abandon de 300 vitoles dont certains grands classiques comme le Prince of Wales de Romeo y Julieta. Le tout avec une vraie une logique de gamme autour de la Pyramide des marques (infographie ci-contre), créée par les cubains en 1988 pour établir une hiérarchie dans la qualité, mais remise en vigueur, ou plutôt en rigueur.

A contrario, on assiste à l’introduction, très rare cependant, de nouvelles vitoles dont la conception est la résultante directe de réelles études visant à répondre aux demandes d’un marché qui évolue de plus en plus. Ainsi, devant le succès grandissant des cigares de fort diamètre de type robusto, ont été lancés l’Edmundo de Montecristo (Robusto long, dit « cañonazo ») et le petit Robusto chez Hoyo de Monterrey.

En parallèle, l’année 2000 voit l’apparition des « Edicion Limitada » qui sont des cigares qui n’existent pas dans les gammes et qui sont produits ponctuellement avec des feuilles de tabac vieillies, d’une belle couleur fonçée « maduro ». A l’exception notable de 2002, chaque année a vu, depuis, son lot de séries limitées dont certaines sont déjà des stars comme le Partagas Piramides 2000 ou le Cohiba Sublimes 2004. Les premières « Edicion Limitada » (2000 et 2001) sont aujourd’hui introuvables à la vente et alimentent déjà le marché des collectionneurs. Assez curieusement en 2006 les EL sont des rééeditions des succès de 2000 (Montecristo Robusto) et 2001 (Cohiba Piramides et Partagas Serie D N°3). Voir ci-contre.


Aujourd’hui, même si nous sommes parfois agacés par de ponctuelles irrégularités, force est de constater que le cigare cubain s’est remis en ordre de marche, bien décidé à être prêt pour le jour, pas nécessairement si éloigné, où l’embargo américain sera levé. Ce jour là, des milliers de nouveaux consommateurs, privés de cigares cubains pendant des années, voudront probablement rattraper le temps perdu et ce sera une autre révolution.

En attendant, après ce petit intermède historico-économique, revenons-en aux choses vraiment importantes : un ami très cher m’a offert un Gold Medal de Bolivar et depuis que je l’ai dans la main je n’arrive pas à le lâcher. Je peux vous dire que taper cet article d’une seule main n’aura pas été chose facile et, pour me récompenser, je vais l’allumer de ce pas.


Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue".



jeudi 25 janvier 2007

Les grandes marques de cigares: Cuaba

Aujourd'hui, je vous propose la première d'une série sur les marques de cigares cubains. On commence avec Cuaba juste pour rappel du délicieux Divinos que j'ai fumé ce week end.



En observant attentivement les 200 invités de cette magnifique soirée à l’Hôtel Claridge de Londres, on finit par remarquer un petit homme, visiblement mal à l’aise dans son smoking de location. On pourrait presque croire qu’il est là par accident, si ce n’était cette étonnante lueur d’émotion dans son regard.

Car ce 19 novembre 1996 est une soirée exceptionnelle pour Juan Carlos Izquierdo Gonzales, Maître-Rouleur depuis 45 ans à la fabrique Briones Montoto (anciennement Romeo y Julieta).
En effet, Habanos S.A., l’entité de distribution mondiale des cigares cubains, lance une nouvelle marque, ce qui ne s’était pas produit depuis 1968. Mais surtout, et cela seules quelques personnes le savent dans la salle, c’est lui Juan Carlos Izquierdo Gonzales, homme de traditions, qui en en à l’origine.

Le rappel aux traditions, on le retrouve en premier lieu dans le nom de la nouvelle marque : Cuaba, qui nous fait revenir au temps de Christophe Colomb. Les indiens Tainos qui peuplaient Cuba à l’époque roulaient et fumaient déjà des feuilles de tabac en forme de cylindre, qu’ils nommaient dans leur langue Cohiba. Pour l’allumer, ils se servaient d’un arbuste local aux grandes qualités de combustion, qui pousse d’ailleurs toujours sur l’île, et qu’ils appelaient Cuaba.

Mais surtout Cuaba va produire uniquement des cigares de forme pointue aux deux bouts, dite figurado perfecto ou double figurado. Cette forme est celle qui, au XIXème siècle, a répandu le cigare cubain à travers le monde, et en particulier en Europe où ces cigares étaient très appréciés à l’entracte des spectacles. C’est elle également qui, en France où on l’appelle en quenouille, donnera sa forme à la carotte de nos bureaux de tabac.

Le XXème siècle verra le triomphe des cigares cylindriques, dits parajo, à telle enseigne que les figurados vont disparaître à Cuba dès les années 30. On voit certes apparaître des modules pointus à un seul bout, dits figurado torpedo ou obus dont les plus connus sont les Montecristo n°2 et plus récemment le Vegas Robaina Unicos (dont nous parlerons prochainement), mais cela ne suffit pas à notre ami Juan Carlos.

Celui-ci se roule des figurado perfecto pour son usage personnel (sa fuma) afin, dit-il de « ne pas perdre la tradition ». Bien lui en prend, car lorsqu’à l’issue de longues années de ténacité il parvient finalement à convaincre la Fabrique de se lancer dans l’aventure, il est le seul à Cuba capable de rouler ces cigares si particuliers. Notre Torcedor vedette va donc recruter et former spécialement dix jeunes rouleurs qui produisent aujourd’hui les six vitoles de la marque. Quatre sont apparues dès l’origine (Exclusivos, Generosos, Traditionales, Divinos) et deux autres plus tard (Salomones et Diademas). Une septième, Distinguidos, fait partie (avec Montecristo Robusto et Cohiba Pyramides) des trois cigares produits en édition limitée en 1999, en présentés en jarres commémoratives « millenium », aujourd’hui introuvables.

Aucun ne présente une énorme richesse de sensations « gustatives » mais leur équilibre est ailleurs. On ne peut cacher une certaine excitation à l’idée de revivre intérieurement les grandes heures du XIXème siècle, ni le plaisir de fumer une vitole visiblement différente des autres, à la si belle esthétique, un peu excentrique. Il faut également évoquer l’incomparable toucher de ce cigare dont les rondeurs flattent si agréablement la paume de la main.

De par leur forme particulière, les Cuaba proposent un départ plus lent que les obus par exemple, mais également dépourvu d’âcreté. Et ce, logiquement jusqu’à leur point le plus épais à partir duquel, la section se réduisant, on voit apparaître une plus forte concentration des arômes. Il s’agit de cigares de bonne qualité (surtout le Divinos, mon petit préféré) qui ont progressivement gagné en régularité et qui présentent un équilibre élégant qui permettra de les fumer simplement à tout moment de la journée. A ce titre, ils présentent la grande et rare qualité de savoir à la fois plaire au fumeur peu expérimenté et séduire l’amateur plus chevronné.

Un grand merci donc à Juan Carlos Izquierdo Gonzales, qui est décidément bien meilleur rouleur de cigares que pilier de cocktails.

Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue"




mercredi 24 janvier 2007

Le cigare en toute convivialité

La passion!

Il en va pour le cigare comme pour beaucoup d'autres choses dans la vie, il y a un monde entre les amateurs et les passionnés. Les premiers sont des gens normaux qui apprécient le produit à l'occasion et en profitent en toute tranquillité. Les deuxièmes sont des malades mentaux qui ont ça en tête tout le temps, à l'affût de la moindre info pour alimenter leur soif de découvertes. Les premiers sont utiles aux deuxièmes en ce qu'ils arrivent parfois à les ramener gentiment dans le monde réel en remettant un peu tout en perspective. Les deuxièmes sont utiles aux premiers en ce qu'ils peuvent justement faire l'inverse, c'est à dire les aider à transformer un simple moment agréable en une expérience unique de sensations pleines et diverses.

Comme toutes les dichotomies, celle-ci a bien sûr ses limites et la frontière entre les deux états est largement floue. Pour ma part, même si la passion m’habite (je résiste très fort à la tentation du jeu de mots), j’ai encore beaucoup trop à apprendre pour prétendre aider qui que ce soit à passer de l’autre côte du miroir, celui des vrais aficionados. Mais à chaque fois que j’ai appris quelque chose sur les cigares, cela a multiplié mon plaisir de les fumer, et c’est précisément l’objectif de ce blog : échanger des connaissances et des sensations pour que le plaisir encore plus m’habite (là, je n’ai pas pu résister, désolé, passion et plaisir allant vraiment trop bien avec le dit jeu de mots).

Enfin, la consommation de cigares est une activité à laquelle reste encore attachée une image, parfois justifiée, de « pédantitude » et de maniérisme un peu condescendants, que je trouve tellement éloignée du concept même de dégustation conviviale que nous nous en écarterons autant que possible. Etre sérieux d’accord, mais se prendre au sérieux jamais.

Et si en plus ça intéresse quelques lecteurs et contributeurs, pourquoi pas ? Plus on sera de fous, plus on le deviendra.


Ah, j'allais oublier: Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue"

Salud !
 
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