mercredi 21 février 2007

Les grandes marques de cigares: Hoyo de Monterrey

Deuxième de la série sur les marques de cigares cubains, nous nous perdons aujourd'hui dans le Hoyo de Monterrey.

Hoyo de Monterey c’est d’abord l’histoire d’une terre, dans un trou perdu de l’Ouest cubain. C’est le cas de le dire puisque la traduction littérale du mot « hoyo » est justement « trou ». Par extension, il s’agit en fait d’une trouée, une vallée dans cette région montagneuse de la Vuelta Abajo, où sont produit les meilleurs tabacs à cigares du monde.

Mais Hoyo de Monterey c’est aussi, comme souvent dans l’histoire des marques cubaines, une saga familiale à multiples épisodes, digne d’une série télévisée. Le personnage central, un espagnol originaire de Taragonne en Catalogne, s’appelle José Gener y Batet. Il arrive à Cuba un beau matin de 1831, à l’âge de 13 ans pour travailler avec son oncle qui exploite une plantation de tabac appelée « la Majagua » avec laquelle il produit des cigarillos du même nom pour le marché local. Tout va bien pendant un moment mais, avec l’âge, José développe une forte ambition. Il veut s’attaquer au monde et ce n’est pas avec des cigarillos qu’il y parviendra.

En 1850, il fonde donc une fabrique de cigares à La Havane, puis crée la marque « La Escepcion » pour le marché américain. A partir de là, les évènements vont s’enchaîner à un rythme effréné. Le succès de marque « La Escepcion » lui permet d’acquérir en 1860 une exploitation en Vuelta Abajo, nommée « Hoyo de Monterrey » dont on peut encore voir le portail aujourd’hui. Mais ce n’est que cinq ans plus tard qu’il crée la marque du même nom. A la différence de « La Escepcion », les cigares « Hoyo de Monterrey » sont plus doux et subtils, destinés au marché anglais.

En 1895, après 30 ans de gestion éclairée mais quasi-despotique, la Maison est une des plus florissantes de Cuba, avec 350 employés. C’est le moment que choisit José Gener pour mourir lors d’une de ses visites au pays natal. Sa fille Lutgarda Gener prend le relais mais ne parvient pas à résister aux pressions de la famille qui accorde la priorité aux exploitations sucrières. C’est sans surprise qu’en 1931, 100 ans après l’arrivée de José, les deux marques sont vendues à Fernando Palicio et Ramon Fernandez, qui exploitent déjà les marques Punch et Belinda.

A la fin des années 1940, Hoyo est choisie par Zino Davidoff pour produire sa fameuse série des châteaux, qu’il finira par récupérer sous sa propre marque en 1969.

Hoyo de Monterrey reste aujourd’hui une des principales marques de cigares cubains, avec une gamme relativement large de 18 vitoles, dont 3 séries limitées de très bonne facture: Particulares 2000 et 2001, Piramides 2003 (ci-dessous) et Epicure Especial 2004.



Les 6 vitoles de la série "Le Hoyo" (des Dieux, du Gourmet, du Maire, du Roi, du Prince et du Député, tout en Français) sont assez décevantes et ce n'est pas de son sein que sont issus les vaisseaux amiraux de la Maison : l’« Epicure n°2 », un Robusto fin et léger et surtout le « Double Corona », classique parmi les classiques, qui est un de mes cigares préférés, surtout avec quelques années de vieillissement.

Choisissez le plutôt en cabinet de 50 qu’en boîte de 25 et vous aurez le privilège de goûter l’une des plus belles réussites de l’art cigarier cubain. Fidèle à l’esprit de la marque, ce « Double Co » (photo ci-dessous) s’inscrit résolument dans la finesse plus que dans la puissance, tout en faisant montre d’une architecture exceptionnelle, ciselée, impressionnante de précision. A l’allumage, le cigare laisse son bénéficiaire s’installer calmement dans la dégustation, se laissant presque désirer. Avec une progressivité parfaitement maîtrisée, il commence à distiller ses arômes végétaux, d’abord presque floraux puis évoluant dans un registre boisé avant de s’enrichir encore de multiples sensations épicées. Le tout inspire un sentiment de rondeur et d’équilibre d’une grand élégance, qui permet de tenir la distance sans se sentir trop tôt rassasié.


Une fois n’est pas coutume, nous recommandons l’accompagnement d’un vieux rhum cubain (en général, j’ai une nette préférence pour les rhums agricoles martiniquais). Sa douceur et son côté un peu sucré, qui nous agacent avec une vitole qui a du vrai répondant, sont ce qu’il faut boire avec un Hoyo. Sans pour autant, bien sûr, en boire comme un «hoyo».

Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue"



lundi 5 février 2007

Le marketing du cigare en évolution





Aujourd’hui la version longue d’un article publié il y a trois mois dans un nouveau magazine cuisine haut de gamme que je vous recommande très vivement : Gusto.
Son éditeur a eu la bonne idée d'y vouloir une rubrique cigare avec une approche un peu décalée; ça tombe bien, j'aime bien en écrire.

A Cuba, le marketing de l’or brun
Ce n’est certainement pas lorsqu’il s’adonne à la dégustation d’un Havane que l’amateur a l’esprit occupé par des questions d’argent. Le plaisir est trop plein, trop entier pour se laisser parasiter par des considérations mercantiles. Un des plaisirs majeurs du cigare est précisément cette propension à oublier les préoccupations soi-disant importantes de la vie de tous les jours pour se concentrer sur des joies aussi simples que le toucher d’une cape, la surveillance maternelle de la combustion ou la perception de la progressivité des sensations aromatiques. Futile, en apparence? Peut-être, mais n’est-ce pas là justement le début de la sagesse?

De l’autre côté de l’Atlantique, à Cuba, c’est une tout autre histoire. Depuis le 23 Juin 1817, date à laquelle l’abolition du monopole royal espagnol permet à Cuba de produire et exporter des cigares, le Havane est certes un plaisir, mais avant tout un produit. L’Histoire des marques et des fabriques est une vraie saga capitaliste où l’on retrouve tous les ingrédients d’un roman à la Sulitzer : montées en flèche de jeunes entrepreneurs innovants, dynasties familiales turbulentes, faillites retentissantes, tentatives de prise en main par des trusts étrangers,… Bref, en plus pittoresque, le jeu traditionnel du libéralisme, débridé mais fertile, qui a abouti à asseoir le Havane au sommet de la hiérarchie de ce produit de la terre et du travail des hommes qu’est le cigare.

Tout cela prend fin brutalement en 1959, date de la prise de pouvoir par le régime castriste qui nationalise l’ensemble des activités économiques de l’île, cigarière comprise. S’ensuit une période de stagnation pendant laquelle Fidel Castro, même s’il fume encore ses Lanceros, est surtout occupé à trouver sa place dans la galaxie à l’étoile rouge qui, elle, est principalement demandeuse de denrées de première nécessité comme le sucre.
La chute de l’Empire communiste est une catastrophe pour Cuba qui se voit privé de sa principale source de devises, tout en restant sous embargo américain depuis 1962. Au milieu des années 1990, Fidel, alors que paradoxalement lui-même s’est arrêté de fumer, lance un plan ambitieux de développement de la production de cigares qui passera en 5 ans de 50 à près de 150 millions de Havane, pour en arriver à constituer entre 5 et 10% des rentrées de devises du pays. Avec les conséquences évidentes d’une croissance si rapide sous un régime de cette nature: baisse de qualité, désorganisation, manque d’écoute des souhaits du consommateur et donc de vision stratégique.

Il n’y avait qu’un choix possible, courageux car loin des idéaux marxistes: se faire aider de spécialistes étrangers disposant de la connaissance du marché international et donc capables de s‘y adapter en vue d’une optimisation des résultats économiques. Si Tabacuba, société chargée de la production des Havanes reste 100% cubaine, Habanos SA, chargée de leur commercialisation fait en 1999 renter à hauteur de 50% la société Altadis, issue de la fusion la même année du français SEITA et de l’espagnol Tabacalera.

Sous l’impulsion de ce sang neuf, Habanos SA va transformer en profondeur la filière autour d’idées-force du plus pur classicisme marketing. Etape 1 : dépoussiérage et rationalisation des gammes de produits existantes (près de 600 cigares différents) ; étape 2 : redynamisation par la revalorisation de l’image et la création nouveaux produits adaptés aux demandes du marché. Et au pas de charge!

Dès 2002, le nombre de références est divisé par deux soit l’abandon de 300 vitoles dont certains grands classiques comme le Prince of Wales de Romeo y Julieta. Le tout avec une vraie une logique de gamme autour de la Pyramide des marques (infographie ci-contre), créée par les cubains en 1988 pour établir une hiérarchie dans la qualité, mais remise en vigueur, ou plutôt en rigueur.

A contrario, on assiste à l’introduction, très rare cependant, de nouvelles vitoles dont la conception est la résultante directe de réelles études visant à répondre aux demandes d’un marché qui évolue de plus en plus. Ainsi, devant le succès grandissant des cigares de fort diamètre de type robusto, ont été lancés l’Edmundo de Montecristo (Robusto long, dit « cañonazo ») et le petit Robusto chez Hoyo de Monterrey.

En parallèle, l’année 2000 voit l’apparition des « Edicion Limitada » qui sont des cigares qui n’existent pas dans les gammes et qui sont produits ponctuellement avec des feuilles de tabac vieillies, d’une belle couleur fonçée « maduro ». A l’exception notable de 2002, chaque année a vu, depuis, son lot de séries limitées dont certaines sont déjà des stars comme le Partagas Piramides 2000 ou le Cohiba Sublimes 2004. Les premières « Edicion Limitada » (2000 et 2001) sont aujourd’hui introuvables à la vente et alimentent déjà le marché des collectionneurs. Assez curieusement en 2006 les EL sont des rééeditions des succès de 2000 (Montecristo Robusto) et 2001 (Cohiba Piramides et Partagas Serie D N°3). Voir ci-contre.


Aujourd’hui, même si nous sommes parfois agacés par de ponctuelles irrégularités, force est de constater que le cigare cubain s’est remis en ordre de marche, bien décidé à être prêt pour le jour, pas nécessairement si éloigné, où l’embargo américain sera levé. Ce jour là, des milliers de nouveaux consommateurs, privés de cigares cubains pendant des années, voudront probablement rattraper le temps perdu et ce sera une autre révolution.

En attendant, après ce petit intermède historico-économique, revenons-en aux choses vraiment importantes : un ami très cher m’a offert un Gold Medal de Bolivar et depuis que je l’ai dans la main je n’arrive pas à le lâcher. Je peux vous dire que taper cet article d’une seule main n’aura pas été chose facile et, pour me récompenser, je vais l’allumer de ce pas.


Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue".



 
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