mardi 26 juin 2007

Le Behike, paroxysme du mythe Cohiba

La marque de cigares cubains la plus vendue dans le monde est Montecristo, la plus ancienne est Por Larrañaga, celle disposant de sa fabrique la plus célébre est Partagas, celle présentant la plus large gamme de vitoles est Romeo & Julieta, des noms qui sonnent comme autant de piliers de la « cigaritude » cubaine. Et pourtant, lorsque vous serez abordés dans les ruelles de la Vieille Havane par des revendeurs à la sauvette, ce n’est aucune de ces marques qui sera écrite sur les boites qui sortiront de leurs poches aussi vite qu’un mojito des mains du barman du Floridita. Car la marque qui exerce la plus forte attraction, beaucoup plus récente, sans fabrique à son nom et avec une gamme assez resserrée mais qui représente aujourd’hui dans le monde le symbole de l’excellence cigarière cubaine, cette marque, bien sûr, c’est Cohiba.

Et force est de reconnaître qu’avec Cohiba on est assuré de cigares d’une bonne qualité, régulière et sans risque mais - jetons le pavé dans la marre - qui vous donnerons rarement l’impression, si extraordinaire, de fumer les meilleurs cigares du monde. Certes il y a des exceptions comme le récent Siglo VI et le très regretté Pyramides Edition Limitée 2001 (photo ci-dessous), mais chacune des vitoles du reste de la gamme est facilement dépassée par ses équivalents d’autres marques, y compris le réputé Robusto.

Alors pourquoi un tel engouement. Deux raisons principales. D’abord, c’est le cigare historique de Fidel Castro et ensuite il a été très savamment promu par les cubains pour entretenir la légende.

Un jour de 1963, l’attention de Fidel est attirée par une odeur de cigare, inconnue de lui mais délicieuse. Il s’aperçoit que le « puro » qui la dégage est dans les mains de son garde du corps Chicho et apprends qu’ils lui sont roulés spécialement par son ami torcedor Eduardo Rivera. A compter de ce jour Reviera roulera ces cigares longs et fins (les futurs Lanceros) pour Fidel. Et comme celui-ci est partageur, il en fera bénéficier certains de ses amis cubains et étrangers. A telle enseigne que Riviera ne peut plus tenir la cadence tout seul et s’entoure de 8 femmes qui l’aideront dans sa tâche, dont une certaine Norma Fernandez dont nous reparlerons.
Il faudra attendre 1966 pour que, à l’initiative de Celia Sanchez, figure féminine méconnue mais très influente de la Révolution Cubaine, ces cigares soient portés sur les fonds baptismaux sous le nom d’une marque nouvelle: Cohiba. Créée pour l’occasion, elle s’inspire du nom que donnaient les indiens Tainos aux feuilles de tabac roulées qu’ils fumaient il y a 500 ans.

Ensuite la machine marketing se met en route. La gamme comporte d’abord trois vitoles : Lanceros, Panatelas et Coronas Especiales. Les trois de la Linea Classica (Robustos, Esplendidos et Exquisitos) n’apparurent qu’en 1989, peu avant le réel élargissement de la gamme par la Linea 1492, celle des Siglos I, II, III, IV et V, le Siglo VI datant, lui, de 2002.

Avec la caractéristique d’avoir dans sa liga des feuilles ayant bénéficié de trois fermentations au lieu de deux, les Cohiba vont être positionnées très haut de gamme, leur prix étant en moyenne 50% plus chers que les autres. Et c’est un succès planétaire sans qu’ils soient, loin s’en faut, 50% meilleurs que les autres. On ne peut s’empêcher de penser - deuxième pavé dans la marre (attention, elle commence à être bien remplie) - que le simple fait d’être le plus cher ait pu provoquer un tel succès chez les fumeurs recherchant plus dans le cigare un symbole financier qu’une dégustation extatique.

Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter là puisque Habanos SA a lancé en Février 2006 la fabrication du « cigare le plus cher du monde », le « Behike », du nom des shamans Tainos. Il s ‘agit d’un cigare long (19 cm, longueur du Lanceros) et Cepo 52 (diamètre du Siglo VI). Seulement 100 boîtes de 40 Behikes seront produites et ces 4000 cigares ont tous été roulés à la Fabrique El Laguito par la même personne : Norma Fernandez (photo) dont nous parlions plus haut. Le prix est de 15 000 Euros la boîte ce qui à l’évidence répond à l’objectif d’origine.

Pour offrir à ces joyaux le plus bel écrin, Habanos a fait appel au tabletier français Elie Bleu, qui s’affirme de plus en plus comme le meilleur fabriquant de caves à cigares au monde. Réalisés entièrement dans les ateliers Elie Bleu en sycomore, ébène, os et galuchat (peau de raie), les coffrets, couronnés par un logo Cohiba central en nacre, sont numérotés individuellement, comme chaque cigare d’ailleurs.
Au total, il aura fallu deux mois de travail, trois cents peaux de raie d’Indonésie, deux cent cinquante kilos d’ébène, plus d’une centaine de coquilles d’ormeau de la Mer de Chine, tout ça pour cent coffrets. « Une aventure !», comme le dit le Chef d’Atelier d’Elie Bleu.



Enfin, chaque coffret porte une plaque au nom de son acheteur. Scoop sur la question, quelques plaques sont encore vierges, ce qui, lorsque vous serez abordés dans les ruelles de la Vieille Havane par des revendeurs à la sauvette vous proposant des Behike, pourra vous laisser penser qu’il ne s’agit pas de faux. Ce serait bien la première fois.

Conformément à la Loi Evin 91-32, je vous rappelle que "Fumer provoque des maladies graves" et que "Fumer tue".



 
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